2016, bilan de la casse : la mort rôde dans les chantiers, l’Europe exporte de plus en plus, le Bangladesh et l’Inde au coude à coude, on achève vite les porte-conteneurs

4 janv. 2017

Mise à jour, 10 janvier 2017

 
bilan-a-la-casse-2016_gadani-dawn10_robin-des-boisGadani 1er novembre 2016 © Dawn
 

La mort rôde dans les chantiers

2016 a été marquée par la tragédie de Gadani (Pakistan) : 28 morts, 4 disparus, des dizaines de blessés dans l’explosion du tanker FPSO Aces ex-Federal 1, le 1er novembre. L’ex navire contenait encore des milliers de tonnes de résidus d’hydrocarbures et des bouteilles de gaz. Les familles recevront une indemnité de 1,5 million de roupies (14.000 US$).

Ailleurs, les incendies sur les navires en cours de démolition répandent dans l’atmosphère des fumées toxiques tandis que les chutes de tôles, chocs électriques, explosions et inhalations de gaz tuent en routine.

Le 29 mai à Chittagong (Bangladesh), 2 ouvriers sont tués et 3 autres blessés par la chute d’une ferraille. Le 12 août à Brest (France), un chef de chantier meurt asphyxié par le CO2 du système d’extinction du Captain Tsarev. Le 21 août à Keelung (Taiwan), les pompiers et marins-pompiers mettent plusieurs heures à éteindre l’incendie qui s’est déclenché à bord de l’épave du TS Taipei en cours de démolition sur l’emprise de la China Shipbuilding Corporation. Le 4 décembre à Chittagong, un ouvrier est tué après avoir été heurté à la tête par une pièce de métal sur le chantier de démolition du porte-conteneurs allemand Viktoria Wulff. Le 22 décembre, un nouvel incendie à Gadani ravage le transporteur de gaz grec Rain ex-Gaz Fountain, aucune victime grave n’est signalée sauf l’environnement. (*)

La démolition des navires est une activité industrielle dangereuse. Elle tue, brûle et mutile chaque année des dizaines d’ouvriers de par le monde. Aucun chantier ne peut se prétendre à l’abri. La mise en place d’une réglementation sanitaire, sociale, environnementale et universelle se fait attendre: la Convention de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires adoptée en 2009 compte aujourd’hui seulement 5 signataires (Norvège, France, Congo, Belgique et Panama). Sur ce seul critère, il en faut 15 pour qu’elle entre en vigueur.

(*) Mise à jour.  Bis repetita, le 9 janvier 2017, sur ce même navire, un nouvel incendie se déclare. Cette fois 5 ouvriers sont mortellement brulés. La veille, un ouvrier avait été tué sur un autre chantier de Gadani.

L’Europe exporte toujours plus

Le poids de l’Europe parmi les navires à démolir est lourd. En 2015, 35% étaient sous pavillon européen ou appartenaient à un armateur établi dans l’Union Européenne ou dans l’Association Européenne de Libre Echange (Islande, Norvège, Suisse). En 2016, ils ont été 41% et la quasi totalité a été démolie en Asie; l’Inde (39%) a été leur destination privilégiée talonné par le Bangladesh (26%) qui retrouve la cote auprès des armateurs européens.

Le règlement européen qui fixe les conditions de démantèlement des navires battant un pavillon de l’UE a avancé d’un pas. La Commission Européenne a publié le 19 décembre la 1ère liste des installations agréées de recyclage dans lesquelles ces navires devront être démolis. 103 auraient été concernés en 2016 si la réglementation avait été applicable; 13 ont été démolis dans l’Union Européenne. 18 chantiers sont agréés en Europe pour un tonnage total autorisé de 900.000 tonnes. Ils sont situés en Belgique, au Danemark, en Espagne, en France, en Lettonie, en Lituanie, aux Pays-Bas, en Pologne, au Portugal et au Royaume-Uni. Peu sont susceptibles d’accueillir les navires de grande taille. Galloo Recycling à Gand est actuellement limité à 265 m. Les chantiers navals Keppel Verolme à Rotterdam qui ont licencié plus du quart des effectifs en octobre et Harland & Wolff à Belfast se sont mis sur les rangs du recyclage. Ils disposent de cales sèches de 405 m et 557 m mais n’ont pas d’expérience continue dans la déconstruction. A Hartlepool, Able UK, démolisseur du porte-avion français Clemenceau en 2009, privilégie le retraitement des installations offshore de mer du Nord.

Les chantiers européens intéressent-ils pour autant les armateurs européens ? Cette année, le plus gros armateur mondial, le danois Maersk, sans attendre la liste à venir des chantiers extra européens agréés, a envoyé à la casse les porte-conteneurs Maersk Georgia et Maersk Wyoming en Inde, le tanker FPSO North Sea Producer au Bangladesh, et une série de navires ravitailleurs offshore en Turquie. Les dernières expéditions se sont soldées par le naufrage piteux des Maersk Shipper et Maersk Searcher au large de la Bretagne. La compagnie danoise vient d’annoncer la démolition à venir de 8 porte-conteneurs de plus de 4000 boîtes pour moitié en Inde et pour moitié en Chine.

Des chantiers extra européens installés en Chine, en Turquie et en Inde sont candidats à l’agrément de la Commission Européenne qui prévoit de publier une 2ème liste courant 2017. Pour convaincre l’Union Européenne de la qualité de ses installations, l’Etat du Gujarat, qui administre la région d’Alang, a planifié un programme d’investissement massif de modernisation de ses chantiers d’échouage.

 

Bilan tonnes et bilan thunes

937 navires ont été démolis en 2016, soit une hausse moyenne de 21% par rapport à 2015. Le convoi funèbre s’allongerait sur 176 km.

En tonnage, la croissance atteint +40%. Seule la Turquie accuse une baisse de -3%.

Avec près de 10 millions de tonnes à recycler, 2016 est à la 3ème place depuis 2006 et le n°1 d’« A la Casse » (12,5 millions de t en 2012, 10,4 millions en 2013). Le Bangladesh et l’Inde font jeu égal. Le Top 5 des pays démolisseurs a absorbé 97% du tonnage.

bilan-a-la-casse-2016_part-de-marche_robin-des-bois

par tonnage de métal

1 Inde 3,20 millions de t (33%)
2 Bangladesh 3,20 millions de t (33%)
3 Pakistan, 1,7 million de t (18%)
4 Chine 1 million de t (10%)
5 Turquie 400.000 t (4%)

par unité

1 Inde, 316 (34%)
2 Bangladesh, 240 (26%)
3 Pakistan, 135 (15%)
4 Chine, 99 (11%)
5 Turquie, 81 (9%)

 

Globalement, les prix d’achat des navires sont à la hausse. Dans le sous-continent indien, après deux baisses sensibles aux 1er et 2ème trimestres, ils ont terminé 2016 autour des 300 US$ la tonne, un niveau un peu supérieur à celui du début d’année. La Turquie et la Chine partaient de très bas : sur l’année la hausse des prix y a atteint respectivement 23% et 43%. L’écart s’est resserré avec le sous-continent indien. Les prix des chantiers chinois inférieurs de moitié en début d’année n’accusent plus qu’un retard de 25% fin 2016.

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Bonne nouvelle pour la sécurité maritime 

Les navires sous-normes continuent d’être poussés vers la sortie. 55% des navires démolis (516) avaient été préalablement détenus dans les ports du monde entier. Le taux de détention des transporteurs de divers est de 82% ; il est de 68% pour les vraquiers, 50% pour les voituriers, 38% pour les porte-conteneurs et 32% pour l’ensemble des tankers.

 

Le port le plus sourcilleux en matière de contrôle des navires est le port russe de Novorossiysk sur la mer Noire. Il a procédé à 49 détentions parmi les navires partis à la casse. Il devance le port australien de Newcastle, au nord de Sydney, spécialisé dans l’exportation de charbon (37 détentions). Viennent ensuite Gladstone, un autre port australien (29 détentions), le port chinois de Shenzhen (27 détentions) et Singapour (22 détentions). Le 1er port européen, Constantza (Roumanie) se classe 10ème.

 

par catégorie

1 vraquier : 4,3 millions de t (44%)
2 porte-conteneurs : 3 millions de t (31%)
3 tanker : 924.000 t (9%)
4 marchandises diverses 705.000 t (7%)

par unité

1 vraquier : 374 (40%)
2 porte-conteneurs : 193 (21%)
3 marchandises diverses : 150 (16%)
4 tanker : 71 (8%)

 

On achève vite les porte-conteneurs

L’avenir des porte-conteneurs, porte-drapeau du shipping mondial, n’est plus seulement sombre, il vire au carnage. 80 navires au rebut en 2015, 193 en 2016 ; en tonnage, c’est 3 fois plus. La famille bat tous les records en matière d’obsolescence précoce. L’âge moyen des porte-conteneurs cassés est de 18 ans, le tiers a moins de 15 ans, le plus jeune, l’India Rickmers, en a 7. Les vraquiers continuent de broyer du noir : ils sont encore plus nombreux qu’en 2015 à partir à la casse (374 navires contre 364) et restent la 1ère catégorie. Leur âge moyen en fin de vie passe de 25 à 23 ans.

L’âge moyen toutes catégories en fin de vie est de 26 ans.

Ces 2 catégories de navires représentent à elles seules les 3 quarts du tonnage démoli.

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Pavillons du dernier voyage

La proportion des dépavillonages pour le dernier voyage enfle : 13% en 2014, 16% en 2015 et 20% en 2016. Les armateurs et les courtiers conservent leur préférence au trio Comores, Saint-Kitts-et-Nevis et Palaos. L’île de Niue, 1190 habitants, 260 km2, apparue en 2015, confirme son attractivité fiscale et déréglementaire en accrochant la 5ème place, juste derrière le Togo.

Les armateurs européens sont soucieux d’éviter les contraintes réglementaires de l’UE : 49% des 184 navires dépavillonés leur appartenaient, dont plus de la moitié à des armateurs allemands. 100% ont été démolis hors Europe.

 

 

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