Du bateau-poubelle au vaisseau-fantôme

2 janv. 2001

Parti le 1er décembre du port de Saint-Nazaire, l’R Jupiter était sensé rejoindre le port de Gadani au Pakistan pour démolition. L’immatriculation sous pavillon bolivien, sous réserve que son authenticité puisse être établie, lui avait été accordée à la condition que ce voyage soit son dernier. L’arrivée du R Jupiter était prévue le 28 décembre, via le canal de Suez. En fait il est arrivé dans le port du Pirée le 10 décembre et l’a quitté le 23, encore une fois précipitamment après que Robin des Bois ait révélé par voie de presse sa présence en Grèce. D’après les déclarations du bureau de classification Isthmus, l’R Jupiter a fait route vers l’Ukraine où il doit subir de nouvelles réparations destinées à le remettre au niveau des “normes du marché”. Au Pirée il a été réalisé pour 58.000 dollars de réparations. La société de classification Isthmus d’Athènes est prête à réimmatriculer sous pavillon bolivien le R Jupiter une fois les réparations effectuées. Pour le moment le bateau n’a plus aucun titre de certification ni de sécurité. Il n’est plus couvert par les assurances.

Cette affaire navrante témoigne de l’inefficacité du Mémorandum de Paris, un accord signé par 18 pays (Pays de l’Union Européenne qui ont un littoral, plus la Croatie, la Norvège, la Pologne, le Canada, et la Fédération de Russie). Signé à l’initiative de la France, le Mémorandum de Paris a comme priorité de contrôler les navires dans les ports des pays signataires et éventuellement d’en assurer l’immobilisation. Dans le cas de l’R Jupiter, un communiqué de la Préfecture de la région Pays-de-Loire, publié en même temps que l’appareillage du navire, précisait que les restrictions sur l’ultime voyage de l’R Jupiter “seront communiquées à tous les pays membres du Mémorandum d’entente de Paris. En cas de non-respect de ces modalités, les autorités maritimes françaises en seront informées et la procédure de bannissement du navire serait engagée pour une interdiction d’accès à l’ensemble des ports de l’Union Européenne.” Non avare de précautions, le même communiqué se concluait par: “le centre de sécurité des navires de Saint-Nazaire se rapprochera du secrétariat du Mémorandum de Paris pour saisine des autres memoranda, en particulier le Mémorandum indien et le Mémorandum de Tokyo”.

Malheureusement les autorités françaises n’ont pas été averties de l’arrivée du R Jupiter et de ses réparations dans le port du Pirée. C’est seulement le 27 décembre, après que l’équipe de Robin des Bois se soit entretenue avec M. Spanos, représentant de Isthmus, que ce bureau de certification a opportunément notifié par fax aux Affaires Maritimes de Saint-Nazaire le nouveau destin du bateau. Le lendemain 28 décembre, le directeur des Affaires Maritimes au Ministère des Transports transmettait au bureau d’Istmus et à tous les pays signataires du Memorandum de Paris un fax notifiant le bannissement de l’R Jupiter de tous les pays membres. En mer Noire le R Jupiter peut donc encore circuler librement en Turquie, en Roumanie, en Moldavie, en Ukraine, en Bulgarie, en Géorgie.

Saisi à Nantes sous pavillon roumain en janvier 1998, vendu aux enchères par le Tribunal de Grande Instance de Nantes en septembre 2000, il a été acquis dans un premier temps par la société Igen Sea établie sur l’île de Man, puis immatriculé sous le pavillon de Belize, revendu quinze jours avant son départ de St-Nazaire à la Starchild Investments Ltd et ré-immatriculé sous pavillon bolivien. Le R Jupiter est paré pour tous les trafics avec la complicité des autorités européennes.

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