La carambouille de l’Atlantic Star

4 avril 2013

L’Atlantic Star est resté désaffecté à Marseille pendant plus de 2 ans. La construction de l’Atlantic Star à La Seyne-sur-Mer en 1984 avait mobilisé, comme pour tous les navires de croisière, des quantités importantes d’amiante.

Le paquebot appartenait à l’armateur espagnol Pullmantur, filiale de la compagnie américaine Royal Caribbean Cruise Line. Son exploitation était devenue prohibitive ; le remplacement des turbines à vapeur par une propulsion diesel était impossible. L’Atlantic Star, toujours aux mains d’intérêts espagnols, est resté sous le pavillon européen de Malte jusqu’au 1er mars 2013.

La Belinda Shipholding Corp basée aux îles Marshall devient alors l’armateur de l’Atlantic Star, qui passe sous le pavillon du Togo et est rebaptisé Antic. Cette compagnie exotique sert uniquement de plate-forme de revente pour la démolition de vieux navires à passagers européens. En 2009, elle avait pris possession du Kapetan Alexandros A, vieux ferry construit au Royaume-Uni en 1962, appartenant à un armateur grec et battant pavillon maltais. La Belinda Shipholding Corp l’avait immédiatement rebaptisé Alexandros, fait passer sous pavillon Sierra Leone avant de l’envoyer pour démolition en Turquie.

Le 19 mars, remorqué par le grec Ionion Pelagos, l’Antic a quitté les quais de Marseille à destination probable de la Turquie pour démolition. Cependant le convoi, dès le 22 mars, annonce se diriger vers Port-Saïd, porte d’entrée du canal de Suez et tremplin pour la démolition sur les plages d’Alang, en Inde. Les autorités et les associations indiennes sont alertées par Robin des Bois. Début avril, le vent tourne à nouveau, le convoi se dirigerait vers Aliaga en Turquie.

Vers l’Inde ou la Turquie, le dernier voyage de l’Atlantic Star est entaché d’illégalité. L’Espagne, Malte, la France se sont organisées pour ne pas assumer leurs responsabilités au regard de la réglementation européenne sur l’exportation de déchets dangereux. Le départ de l’Atlantic Star n’a pas fait l’objet de notification en application de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers des déchets dangereux et de leur élimination.

Dans cette affaire, la France a une double responsabilité. D’une part l’Atlantic Star est parti de Marseille, la France était donc le dernier Etat du port ; d’autre part, fin décembre 2012, la commande aux chantiers STX France de Saint-Nazaire d’un paquebot géant par Royal Caribbean Cruise Line a été assortie d’une clause annexe très spéciale : la « reprise » de l’Atlantic Star. Au lieu de procéder à un démantèlement de l’Atlantic Star en Europe, avec toutes les contraintes financières et techniques d’un désamiantage rigoureux et de l’élimination des autres déchets dangereux, STX France a cédé le vieux paquebot à Skandinor, une filiale de STX Europe dont le siège est en Norvège. En fin de cascade, c’est la Belinda Shipholding Corp, établie aux Iles Marshall, qui se retrouve juridiquement propriétaire de l’Atlantic Star et qui assume la responsabilité d’une démolition hasardeuse.

Ce montage illustre jusqu’à la caricature les pratiques des armateurs européens pour s’exonérer de leurs responsabilités au moment du dernier voyage de leurs navires : vente à des sociétés fantômes et transferts sous des pavillons corbillards, comme le Togo, Saint-Kitts-et-Nevis, la Moldavie, Tuvalu, Sierra Leone ou les Comores et démolition en Inde, en Turquie, au Pakistan, au Bangladesh.

 

 

 

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