La « chasse scientifique » japonaise s’appelle de son vrai nom « chasse commerciale »

2 juil. 2013

Note d’information n°3
Les baleines devant la Cour Internationale de Justice
La Haye, Pays-Bas, 1ère audience de l’Australie, 26-28 juin

Au nom de l’Australie, M. Campbell a illustré sa déclaration d’ouverture par une photo. Sur celle ci, il y avait le navire usine japonais avec en grosses lettres sur le côté le slogan suivant : « Recherche scientifique sous le contrôle de l’ICRW (1) ». Il y avait aussi une baleine morte à l’arrière du navire. L’Australie perçoit cette image et ce langage comme la tentative pour le Japon de se convaincre lui- même qu’il participe à une démarche scientifique et que donc il respecte la loi. La communauté internationale et plus spécifiquement la communauté scientifique internationale n’en est pas convaincue.

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L’argumentation australienne se concentre sur le programme de recherches japonais JARPA II et sur ses infractions au texte et à l’esprit de la Commission Baleinière Internationale (CBI). L’Australie a pris le parti dans le cadre de ce procès exceptionnel de ne pas évoquer la Convention CITES sur le Commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, ni la Convention sur la diversité biologique bien que ces traités internationaux ne soient pas étrangers à la cause.
Selon l’Australie, le Japon n’a pas respecté le principe de bonne foi défini par la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) qui dans son article 26 dit que : « Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ». Tout au long de ses dépositions, l’Australie a expliqué l’évolution de la Commission Baleinière qui peut être résumée par les premières lignes de son préambule : « reconnaissant l’intérêt des nations à sauvegarder pour les générations futures les grandes ressources naturelles que sont les stocks de baleines ».

Le premier désaccord environnemental tranché par la Cour de Justice en 1997 Gabcíkovo – Nagymaros, (Hongrie c/ Slovaquie) au sujet de la construction de barrages et digues sur les rives du Danube souligne l’obligation des Etats contractants de mettre en œuvre les dispositifs d’un traité international de manière raisonnable en vue d’atteindre les objectifs de la Convention, en faisant preuve de « bonne foi ». Selon l’Australie, le Japon fait preuve de « mauvaise foi », en refusant de reconnaitre les nombreuses résolutions prises par la CBI depuis les années 1990. En effet, le Comité Scientifique de la CBI a sommé le Japon d’arrêter l’emploi de méthodes de recherche létales dans l’océan Austral, visant tout particulièrement les sanctuaires de baleines. Plus généralement les critiques émanant de la CBI au sujet du « permis spécial de chasse japonais » sont renforcées par de multiples rappels et injonctions. La Commission Baleinière affirme que JARPA I et JARPA II n’abordent pas des thèmes scientifiques essentiels et ne prennent pas en compte les critères de protection des baleines posés par la Convention.

Il s’agit pour l’Australie de démontrer à la Cour que la chasse baleinière pratiquée par le Japon ne répond pas aux exigences de l’article VIII de la CBI sur la chasse scientifique mais au contraire relève de la chasse commerciale. Sept caractéristiques clés montrent que la chasse japonaise est en réalité commerciale :
1) L’ambition et le caractère répétitif des missions JARPA ne correspondent pas à des besoins scientifiques.
2) Après le moratoire sur la chasse commerciale, les baleines ont été capturées avec les mêmes méthodes, elles ont continué à être commercialisées et la viande a été vendue sur les mêmes marchés.
3) Avant le moratoire, le Japon ne ressentait pas le besoin de mener des opérations de recherches scientifiques létales à une telle échelle.
4) L’objectif de JARPA est de perpétuer des activités baleinières. A cet effet les recettes tirées des campagnes précédentes sont réinvesties pour la chasse.
5) L’intention évidente du Japon est de dissimuler une chasse commerciale sous « la blouse blanche de la science ».
6) Deux principes de base de la recherche scientifique n’ont pas été appliqués par le Japon : aucune revue scientifique ou tierce expertise n’a évalué leurs travaux et il n’y a pas de questionnement critique du protocole mis en œuvre.
7) Derrière la position unilatérale du Japon et son refus constant d’accepter le rôle de la Commission Baleinière et de son Comité scientifique, il y a « la poursuite de bénéfices commerciaux ».

Ainsi selon la définition de la CBI, la « chasse scientifique » japonaise est une « chasse commerciale », illégale étant donné que le Japon a signé le moratoire (voir la note d’information n°2).

Mercredi 26 après midi et jeudi 27 juin, les audiences ont pris une tournure philosophique et épistémologique (étude de la science) : la Cour s’attache à déterminer ce qu’est une « activité authentiquement scientifique ». Cette définition doit être claire pour que l’Australie puisse démontrer le caractère non scientifique des activités baleinières du Japon.
L’interprétation faite par le Japon de l’Article VIII est unilatérale, ce qui implique que seul le Japon a en l’espèce le pouvoir de dire ce qu’est la science. Le Japon est maître du jeu. Il est le seul à être juge de la qualité de son programme scientifique et de l’opportunité de le poursuivre. Selon l’Australie, cette interprétation unilatérale de l’Article VIII est dangereuse. Si chaque Etat contractant interprétait le texte à sa manière, la destruction totale des stocks de baleines serait possible en quelques années. En effet, l’Australie affirme devant la Cour le caractère universel de la science. Elle soutient que la science, et dans le cas présent l’Article VIII de la Convention sur la chasse scientifique, doit être soumise à l’évaluation de tous les Etats contractants et de la communauté scientifique internationale dans son ensemble. L’environnement et plus précisément la biodiversité des océans ne connait aucune frontière et doit être géré collectivement en vue de sauvegarder les ressources. Il reviendra in fine à la Cour Internationale de Justice et non au Japon de dire si celui-ci s’est conformé à ses obligations envers la CBI.

La Cour a soulevé de nombreuses questions sur le sens de la « recherche scientifique » telle qu’elle est entendue par la Commission Baleinière. Selon les experts appelés par l’Australie, la prise létale d’un animal dans le jargon scientifique est qualifiée de « sacrifice ». Ce terme est employé pour souligner que par sa mort est « sacrifiée » toute autre donnée qui aurait pu être fournie par l‘observation du spécimen vivant. L’Australie a démontré à plusieurs reprises à la Cour que le « sacrifice » des espèces aussi emblématiques pour examiner les bouchons auditifs ou les contenus stomacaux de ces baleines ne contribue pas à la recherche scientifique. En 18 ans de recherche, la seule information conclusive de JARPA est que les rorquals de Minke en Antarctique mangent une grosse quantité de krill. Cette information est insuffisante et inutile pour contribuer à la compréhension de l’Antarctique.

Pendant deux jours et demi l’Australie a présenté ses arguments principaux devant les 16 juges de la Cour Internationale de La Haye. S’il est prouvé que la chasse japonaise n’est pas scientifique, alors elle tombe sous l’interdiction de toute prise commerciale depuis le moratoire de 1986. L’Australie demande qu’il soit mis un terme à JARPA II qui en l’état peut se poursuivre indéfiniment.

Note de la rédaction Robin des Bois: La science n’en est qu’aux prémices en ce qui concerne l’étude des contributions positives des baleines aux écosystèmes marins, le « sacrifice » par les scientifiques japonais est une démarche périmée.

(1) International Convention for the Regulation of Whaling, traité fondateur de la Commission Baleinière Internationale.

 

 

 

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