La double peine pour les boues d’épandage

14 avril 2020

Les STEU (Stations de Traitement des Eaux Usées) dégrillent, dessablent, déshuilent, décantent, aèrent, clarifient, rejettent de la sous-eau dans les rivières et les eaux côtières et accumulent les boues dans des bassins. Les boues sont les déchets des STEU. Depuis janvier 2020, les 21.474 STEU urbaines et rurales ont produit environ 3 millions de tonnes de boues brutes soit environ 300.000 tonnes de boues en matières sèches. 70% sont par habitude, par économie, par amnésie, vouées à l’épandage sur les champs nus, les terres maraîchères et les prairies en élevage laitier. Avril est le mois de l’épandage des boues et du “retour au sol” des particules de plomb et autres Eléments-Traces Métalliques, des PCB, des bromés, des dioxines, des résidus d’anti-dépresseurs et de produits de bricolage et d’hygiène corporelle. Les seuils de polluants admissibles sont fixés par l’arrêté du 8 janvier 1998. Les ONG et les agriculteurs réclament à cor et à cri la refonte de cet arrêté. Les seuils doivent être abaissés en fonction des nouvelles connaissances et les polluants émergents doivent être pris en compte.

Covid-19

Les STEU regroupent aussi les eaux grises des hôpitaux, les purges d’évier, les chasses d’eau des confinés. Les agents de l’épidémie Covid-19 s’infiltrent dans les excréments des sujets dont l’infection est déclarée ou masquée.

Compte-Le 27 mars, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a rendu en urgence un avis sur les risques éventuels de l’épandage des boues de STEU pendant l’épidémie Covid-19 à la demande tardive du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation en date du 20 mars. Au terme de 13 pages explicites, l’ANSES considère comme “faible à négligeable” le risque de contamination humaine par les agents de l’épidémie Covid-19 à la condition que les boues soient “hygiénisées”.

Compte-tenu des incertitudes sur la résilience du nouveau coronavirus dans le compartiment boues, il apparaît que seules 2 voies d’hygiénisation (le conditionnement thermique et l’oxydation par voie humide) garantissent sa destruction grâce à des températures dépassant les 180°C.

Alors que l’ANSES a émis un avis basé sur les connaissances disponibles, le gouvernement a quant à lui pris une décision basée sur une doctrine ancienne et biaisée par les pressions des élus et de certaines chambres d’agriculture, sans prendre en compte les risques “faibles ou négligeables” des boues hygiénisées.

Par courrier du 2 avril 2020, les ministères de l’Agriculture et de l’Alimentation et de la Transition écologique et solidaire autorisent l’épandage des boues “hygiénisées” en ensevelissant les préfets et leurs services déconcentrés et en partie confinés sous une nuée de nouvelles recommandations et contraintes, de vérifications, d’intermédiations, d’options alternatives, de combines logistiques et de mélanges dérogatoires assortis de contrôles sur le terrain et de prélèvements fréquents incompatibles avec les temps qui courent et les disponibilités des laboratoires. L’hygiénisation des boues par compostage est d’autant moins fiable qu’il y a en ce printemps une pénurie de déchets verts à cause de la fermeture d’un grand nombre de déchetteries.

Beaucoup d’agriculteurs sont réticents à accepter ces boues suspectes. Ils craignent de s’infecter et de contaminer sinon leurs produits, du moins leur image.

Dans le cadre de la lutte contre la propagation de l’épidémie, les seules issues pour les boues estampillées Covid-19 sont l’hygiénisation renforcée ou l’incinération. C’est le seul geste barrière acceptable. L’épandage de boues de STEU doit être écarté en priorité dans les régions Ile-de-France, Hauts-de-France, Grand-Est et Auvergne-Rhône Alpes.

Lubrizol
Les STEU collectent aussi les eaux de voirie et de toiture polluées par les résidus et les poussières des incendies industriels. 219 communes en Normandie et dans les Hauts-de-France ont été physiquement touchées par le panache de la catastrophe Lubrizol du 26 septembre 2019.

En Seine-Maritime, au moins 38 STEU ont recueilli des eaux polluées par les retombées de l’incendie et par le nettoyage à haute pression de façades, de toitures, de voitures et autres équipements et biens de consommation souillés. L’ANSES, dans son avis Lubrizol du 19 novembre 2019 relatif à l’évaluation des risques alimentaires préconise une surveillance pendant un an des productions végétales cultivées en plein champ comme les légumes feuilles, l’ensilage de maïs ainsi que la surveillance du lait et des produits laitiers.

Il est évident que les boues, si elles étaient épandues, pourraient avoir un impact négatif sur la qualité sanitaire des denrées agricoles, sur les sols et sur les eaux souterraines. L’incendie Lubrizol a libéré des quantités importantes de dioxines, de métaux lourds, de phtalates, d’hydrocarbures, de plomb entre autres substances toxiques et persistantes. Ces polluants ne sont pas susceptibles d’être abattus par les modalités diverses d’hygiénisation. Il n’y a pas d’autres options de gestion pour les boues de STEU dans les régions sinistrées par l’évènement exceptionnel Lubrizol que l’incinération dans des installations dédiées.

L’épandage des boues lubrizolées est toujours théoriquement suspendu. Elles seraient jusqu’alors consignées. Les résultats des prélèvements réalisés courant mars ne sont pas affichés à ce jour sur le site de la préfecture de Seine-Maritime. Leur épandage serait d’autant plus mal venu qu’elles sont désormais potentiellement contaminées par les eaux usées collectées pendant l’épidémie Covid-19.

 

 

 

 

Imprimer cet article Imprimer cet article