Le bateau fantôme n’est pas orphelin

20 févr. 2013

Lyubov Orlova, communiqué n°3

L’ex paquebot russe Lyubov Orlova est sous la responsabilité du Canada. Il était en 2009 affrété par Cruise North Expeditions, une compagnie Inuit qui l’utilisait pour des croisières en Arctique. Il a été saisi en septembre 2010 dans le port de Saint John’s, province de Terre-Neuve par des créanciers canadiens dont les factures d’avitaillement et de fioul n’étaient pas payées. La Cruise North Expeditions affrétait en même temps le Clipper Adventurer (1) qui s’est échoué en août 2010 sur un récif au large du territoire canadien du Nunavut.

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Lyubov Orlova, 100 m, 2.695 t. (photo prise lors d’une croisière Cruise North Expeditions © die Welt / Getty Images)

Le Lyubov Orlova a été vendu par l’intermédiaire d’un courtier canadien à un ferrailleur iranien résidant au Canada. Le projet était de démolir le Lyubov Orlova à Saint-Domingue. Ça aurait été une exportation de déchets dangereux depuis un pays riche vers un pays pauvre.
Le convoi remorqueur / Lyubov Orlova a quitté Saint John’s le 23 janvier 2013 (lien vers vidéo sur CBC News). A la suite de la rupture de l’amarre dans les eaux territoriales canadiennes et pour éviter une collision du Lyubov Orlova avec une plate-forme pétrolière, le gouvernement canadien a affrété le Maersk Challenger, un navire d’assistance de l’industrie pétrolière offshore. Ce navire a repris en remorque le Lyubov Orlova pour l’éloigner du champ pétrolier. Selon le Ministère des Transports canadien, « les conditions météo défavorables ont empêché de mener le remorquage à son terme » et le Lyubov Orlova a été abandonné dans les eaux internationales.

Concernant le départ du convoi du port canadien de Saint John’s, le Canada au titre du droit international avait l’obligation générale de s’assurer de l’absence de risques pour la sécurité et l’environnement maritime. Il avait en conséquence le devoir de différer le convoyage si des risques étaient prévisibles (déclaration de Stockholm de 1972 : « les Etats ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l’environnement dans d’autres Etats ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale »).

Le Canada est signataire de la Convention de Montego Bay sur le droit international de la mer. A ce titre, il a « l’obligation de prendre séparément ou conjointement selon qu’il convient toutes les mesures compatibles avec la Convention qui sont nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin quelle qu’en soit la source ».

Le Lyubov Orlova est une menace imminente pour l’environnement. Dans l’éventualité d’une collision, d’un naufrage ou d’une avarie, le Lyubov Orlova libérerait immédiatement ou à moyen terme des hydrocarbures, du pyralène (PCB) et autres liquides techniques toxiques, de l’amiante, des eaux de cale souillées, des néons au mercure et des déchets flottants non biodégradables.

Le Canada est par ailleurs signataire du Memorandum de Paris sur le contrôle par l’Etat du port. Ce protocole qui est aussi signé par les pays européens contribue à améliorer la sécurité maritime, la sécurité des équipages et à éviter les pollutions depuis les navires. Dans ce cadre, chaque pays signataire doit « cibler » les navires à inspecter et les empêcher de prendre la mer en cas de déficiences ou d’incompatibilités. Or l’attelage Charlene Hunt / Lyubov Orlova n’a pas fait l’objet d’inspection particulière et proportionnée alors que le premier a été construit en 1962, n’a pas de société de classification connue et que le second bat pavillon des Iles Cook, un pavillon de complaisance de mauvaise réputation. C’est seulement après le retour à Saint John’s que le remorqueur Charlene Hunt a fait l’objet d’une inspection approfondie; depuis, il est détenu avec une liste de déficiences conséquente mais non communiquée pour l’instant.

Le Lyubov Orlova n’est pas localisé. Il est possible qu’il suive, mais dans l’autre sens, la trajectoire du Titanic. Les risques de collision avec un iceberg ou d’autres navires marchands ou de pêche ne sont évidemment pas à écarter. Etant donné son mauvais état et les mauvaises conditions météo, il peut aussi être victime d’une voie d’eau et sombrer. Une autre hypothèse serait qu’après avoir été repéré il soit volontairement torpillé par la marine d’un Etat riverain qui craindrait une intrusion dans ses eaux nationales. C’est ce qui est arrivé au Ryou-Un Maru (2), un chalutier japonais long de 60 m qui, après avoir dérivé pendant un an dans l’océan Pacifique après le tsunami du 11 mars 2011, s’est approché des côtes de l’Alaska et a été torpillé par l’US Navy avec 8 t d’hydrocarbures à bord et ses engins de pêche.

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(1) Un nouveau site pollué en Arctique ?, communiqué du 2 septembre 2010
(2) Torpiller les déchets du tsunami et polluer, communiqué du 10 avril 2012

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