Le caviar sous contrôle

1 avril 1998

A partir d’aujourd’hui 1er avril 1998, le caviar et tous les produits de l’esturgeon sont inscrits à l’annexe II de la CITES, dite Convention de Washington portant sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Son importation en France est désormais assujettie à la délivrance d’un permis délivré par le Ministère de l’Environnement. Le service spécialisé (bureau de la Convention de Washington) est loin d’avoir les moyens humains et matériels pour surveiller la légalité d’un commerce international soumis au braconnage et à la contrebande. Les douanes, quant à elles, devront être vigilantes puisque chaque voyageur en provenance de l’étranger pourra importer jusqu’à 250 grammes de caviar et 1 kg de chair d’esturgeon à titre “d’effets personnels”. La France importe officiellement environ 50 tonnes par an de caviar. Elle est le premier consommateur européen.

Les esturgeons sont des poissons de l’ordre des Acipenseriformes – 27 espèces- présents sur Terre depuis environ 250 millions d’années. Ils vivent en Europe, en Amérique du Nord ou en Asie, dans les fleuves, les cours d’eau, les lacs et dans la mer, certaines espèces étant anadromes, d’autres vivant exclusivement en eau douce. La taille moyenne d’un esturgeon adulte est de 2 mètres, le poids est compris entre 20 et 100 kg et la durée de vie moyenne est estimée à 60 ans. Le plus grand représentant des esturgeons est le beluga – Huso huso– Dans les années 50, certains spécimens de 1.000 kg, 6 mètres et centenaires ont été observés. Une femelle esturgeon donnera environ 2 kg d’ovocytes – œufs non fécondés – appelé caviar. 3 espèces sont préférées pour leurs œufs : Acipenser gueldenstaedtii (caviar oscietre), Acipenser stellatus (caviar sevruga), Huso huso (beluga). Elles sont principalement pêchées en mer Caspienne, où la quasi-totalité des prises mondiales officielles d’esturgeon sont débarquées. C’est ici aussi qu’environ 90 % des captures sont effectuées illégalement. Avant l’éclatement de l’URSS, seuls l’Iran et l’URSS y pêchaient avec des quotas, des limites de tailles minimales et maximales, des périodes de fermeture. La pêche en mer où les esturgeons grandissent était totalement interdite. Depuis 1991 et l’éclatement de la Russie, la Fédération de Russie, l’Iran, les deux républiques autonomes du Daghestan et de Kalmoukie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan pêchent l’esturgeon en mer Caspienne. Toutes les espèces sont pêchées et non plus exclusivement trois. Le caviar provenant de ces nouvelles cibles sera vendu sous appellation frauduleuse. Pour écouler la production, des filières passeraient en particulier par la Pologne.
Les esturgeons sont extrêmement sensibles à la surpêche en raison de leur maturité tardive (entre 6 et 25 ans selon les espèces et le sexe). Cette exploitation des peuplements juvéniles compromet la pérennité des espèces. Le caviar de médiocre qualité provient en partie des œufs de femelles immatures pêchées en Mer Caspienne et dans le Danube. En 1994, la répression du braconnage a donné lieu à l’arrestation de 1.500 personnes et à la fermeture de 7 conserveries clandestines en Russie. En 1996, plusieurs dizaines d’agents chargés de ce contrôle ou leurs proches ont été assassinés.

Au braconnage s’ajoute la pollution des fleuves sibériens où les esturgeons vivent ou qu’ils remontent. Celle-ci a considérablement diminué leurs taux naturels de reproduction, entraînant entre autres une dégénérescence des œufs. Les fleuves qui se jettent en mer Caspienne charrient les polluants chimiques, agricoles et radioactifs. L’exploitation des gisements pétrolifères en mer Caspienne met en péril les esturgeons dont les principales nourriceries se trouvent à proximité. Dans le bassin de la Caspienne, 80 % des frayères ont déjà disparu avec la construction de centrales hydroélectriques. En Chine, le barrage des Trois Gorges mettra fin à la migration des esturgeons du Yangtze.

Manger du caviar peut gravement nuire à l’avenir de l’esturgeon. Les restaurateurs et traiteurs peuvent dès maintenant exiger des revendeurs ou grossistes des attestations prouvant l’origine licite du caviar. L’inscription de l’esturgeon à l’annexe II de la CITES devrait renforcer la légalité et la transparence du marché. A Noël 1997, Carrefour “positivait” le caviar. Monoprix en avait commandé 3 tonnes. En quittant l’épicerie pour la grande distribution, le caviar s’est aussi exposé à une augmentation de la demande, entraînant un effort de pêche croissant. Selon les experts, le statut de l’esturgeon justifie son inscription à l’annexe I de la CITES qui interdit tout commerce international.

 

 

 

 

 

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