Le Taser pour les soles

14 juin 2012

En 1868, un brevet concernant un harpon électrique pour la chasse à la baleine est déposé au Royaume-Uni.

En 1931, le magazine américain Popular Science présente avec enthousiasme une technique de pêche révolutionnaire consistant à émettre dans le milieu marin des décharges électriques qui étourdissent les poissons et les amènent à la surface où ils sont ramassés dans des filets.

En 1985 Ifremer – Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer – recommande la poursuite des recherches et des échanges d’information sur les techniques de pêche électrique.

En 1998, L’Union Européenne se méfie des excès des « pêches non conventionnelles » et interdit de « capturer des organismes marins au moyen de méthodes comprenant l’utilisation d’explosifs, de poisons, de substances soporifiques ou de courant électrique ». Avant cette interdiction, l’usage de l’électricité était autorisé pour la pêche au thon et au requin pèlerin dans certains secteurs de la mer Baltique ; des pêches clandestines sont observées depuis 2004 en Ecosse.

En Chine, 3.500 bateaux de pêche étaient équipés de chaluts électriques. Ces engins y ont été interdits en 2001 à cause des mortalités de crevettes juvéniles, de toutes les espèces de fond et des difficultés pour contrôler l’emploi de cette technique. Beaucoup de pêcheurs avaient pris l’habitude d’émettre des décharges électriques beaucoup plus puissantes que les voltages autorisés. Aujourd’hui, la pêche électrique illégale continue. Elle contribue à l’extinction des dauphins fluviatiles de Chine (Lipotes vexillifer) et des marsouins aptère (Neophocaena asiaeorientalis).

En 2006, L’Europe fait un pas en arrière et autorise à titre expérimental la pêche au chalut électrique en mer du Nord. Cette dérogation à l’interdiction générale cède aux pressions des Pays-Bas et des fabricants d’engins de pêche. Il s’agit d’employer l’électricité à l’avant des chaluts de fond et d’électrochoquer les soles et autres poissons cibles enfouis dans les sédiments des fonds de la mer du Nord. Les poissons sont en quelque sorte décollés de leur habitat par les décharges électriques et « la sole monte comme une feuille morte et le chalut qui suit n’a plus qu’à la cueillir »(1). En fait, la sole n’est pas morte. Elle est prise de spasmes et de convulsions. Les décharges électriques ne sont évidemment pas sélectives et elles frappent toutes les espèces animales qui vivent et se nourrissent dans les fonds de la mer. Des spécimens sont pris dans les chaluts, d’autres ne le sont pas.

En 2012, 74 chalutiers des Pays-Bas, de Belgique, et du Royaume-Uni pêchent la sole avec le concours de l’électricité. La file d’attente des candidats à cette technique s’allonge.

La pêche électrique se présente comme un moyen de mettre sur le marché des poissons présentables. L’autre argument favorable est que les chaluts électriques sont moins perturbateurs des fonds marins que les chaluts traditionnels. Mais les recherches montrent que les poissons victimes de la pêche électrique présentent des taux anormaux d’hémorragies, de fractures, de ruptures de la moelle épinière. Les cabillauds, les raies et les requins sont particulièrement vulnérables. En fait, les champs électriques déployés à l’avant des chaluts de fond ont aussi un impact négatif sur les embryons, les larves, les coquillages, les crustacés, les vers arénicoles. Et des questions sans réponses se posent sur l’impact négatif de cette pratique sur les capacités de reproduction de la faune marine. D’autres conclusions scientifiques préliminaires s’inquiètent des effets du stress électrique si des spécimens sont plusieurs fois dans leur vie atteints par les arcs électriques.

Quand une prétendue innovation technologique débouche sur la cruauté envers les animaux et ajoute la torture à la capture, elle doit être rejetée et interdite ; les argumentations économiques et écologiques comme la réduction de la consommation de fuel et même la préservation relative des fonds marins doivent être balayées.

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(1) Journal Le Marin La Pêche électrique fait des étincelles, 1° juin 2012.

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