Les cold case des marées noires

9 mars 2020

A la Sainte-Marguerite, le 16 novembre 2019, des oiseaux mazoutés atterrissent morts ou englués sur des plages du Finistère nord. Les échantillons prélevés sur les ailes et les pattes montrent de grandes similarités avec le fioul lourd du Tanio dont le naufrage a eu lieu il y a 40 ans exactement.

A partir du lundi 17 février 2020, des galettes d’hydrocarbures atterrissent sur des plages au nord et au sud de l’estuaire de la Loire. Très diplomatiques, elles touchent Le Pouliguen et Pornichet, épargnent comme c’est l’usage la station chic de La Baule et prennent ensuite la direction de la Vendée.

Les profileurs du CEDRE (Centre de Documentation, de Recherche et d’Expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux) mobilisés par le préfet maritime de l’Atlantique ne tardent pas à rendre leur verdict. Selon la formule désormais consacrée, « les échantillons prélevés montrent de grandes similarités avec [cette fois] le fioul de propulsion du Grande America ».

Les épaves qui suintent sont la plaie des oiseaux, des poissons, des pêcheurs et des côtes. Avec le pétrolier Nakhodka, la barge Vistabella et le pétrolier Haven, le Japon, les îles Caraïbes et l’Italie ont été victimes d’épaves identifiées mais bien d’autres Etats côtiers ont subi des marées noires perlées et différées en provenance d’épaves inconnues.

Face à ce péril rampant, les Etats-Unis cherchent à prendre les devants. En 2010, un million d’US$ a été attribué à la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) en vue de consolider l’inventaire des épaves de navires qui sont dans les eaux sous contrôle des Etats-Unis. Après deux ans de criblage et d’études bibliographiques, la NOAA, partie d’un « stock » de 573 épaves potentiellement dangereuses, a sélectionné 36 « pires cas » contenant au total environ 350.000 tonnes d’hydrocarbures divers et a recommandé que la faisabilité du pompage soit étudiée pour 17 épaves. Dans les « pires cas » se trouvent des cargos et pétroliers torpillés par les U-Boot pendant la Seconde Guerre mondiale dans le golfe du Mexique et le Puerto Rican, un pétrolier victime d’un début d’incendie en sortie des bassins du port de San Francisco en 1984 et remorqué dans l’urgence vers le large. Il avait fini par sombrer au-delà du Golden Gate et contiendrait encore plus de 3000 tonnes de fioul lourd et de lubrifiants.

La France ne prend pas exemple sur les Etats-Unis. Robin des Bois a obtenu à l’issue du Grenelle de la Mer que les opérations nécessaires à la dépollution et à la sécurisation des épaves potentiellement polluantes et dangereuses soient étudiées et engagées (engagement 28c, juillet 2009). Comme plusieurs autres, cet engagement est resté lettre morte faute de directives claires des gouvernements successifs et de financements. C’est fin novembre, soit une semaine après le signalement du relargage de fioul lourd en provenance du Tanio, qu’un chasseur de mines a été déployé par les autorités maritimes pour relocaliser « avec précision » l’épave arrière du pétrolier malgache. Elle contient encore 5000 à 6000 tonnes de fioul lourd environ et gît par 80 m de fond. C’est seulement début décembre 2019 qu’un ROV (Remotely Operated underwater Vehicle) de la Marine nationale a pu inspecter les parois de l’épave arrière du Tanio et constater des fuites intermittentes. A ce jour, elles n’ont pas été colmatées.

Quant à elle, l’épave du Grande America contient environ 2000 t de fioul de propulsion. Elle gît par 4660 m de fond à 180 milles nautiques (333 km) au large de La Rochelle dans la Zone Economique Exclusive française. Cette profondeur abyssale n’est plus un obstacle technique au pompage. 14.000 tonnes de fioul lourd ont été pompées dans l’épave du Prestige par 3600 m de fond en septembre 2004. Le seul obstacle est financier. Souvent bienveillant à l’égard des armateurs, l’Etat français n’a pas mis en demeure Grimadi Group, l’armateur italien, de procéder au pompage du fioul et de surveiller à ses frais l’état de corrosion et de dislocation de son Grande America.

© Marine nationale

Le cas du Jacob Luckenbach
Le 14 juillet 1953, le Jacob Luckenbach (ex-Sea Robin) quitte San Francisco à destination de Busan. Il transporte du matériel militaire et des vivres pour les troupes américaines engagées dans la guerre de Corée. A 4h40, le jour se lève mais il y a beaucoup de brouillard. Il entre en collision avec l’Hawaian Pilot. L’équipage est évacué. Il coule en 30 minutes par 53 m de fond et à 17 milles nautiques (31,5 km) au large de San Francisco. En 2001, des oiseaux mazoutés s’échouent par centaines sur le littoral de la Californie entre Point Reyes au nord de San Francisco et Morro Bay au sud. Plus de 400 km de côtes sont touchées. Grâce à la compilation et à l’analyse des archives disponibles croisées avec la courantologie et la connaissance des parcours des oiseaux, l’épave du Jacob Luckenbach est suspectée. Deux plongeurs sous-marins sont recrutés pour faire une exploration extérieure de l’épave puis la NOAA demande aux Coast Guard de prélever avec un ROV de l’eau chargée en hydrocarbures au-dessus de l’épave. Les résultats des analyses coïncident avec les prélèvements réalisés sur les plages et sur les oiseaux et avec des prélèvements réalisés dans un deuxième temps dans la cale n°5 du Jacob Luckenbach. A ce jour, 320 tonnes ont été pompées pour un coût de 19 millions d’US$ soit près de 60 US$/l. Certains trouveront la note prohibitive mais il n’y a plus d’arrivées d’oiseaux morts et de boulettes sur les plages et les rochers.

 

Voir les communiqués Grande America :
Sud Bretagne : Grande America en feu, 11 mars 2019
Naufrage du Grande America, 12 mars 2019
Le Grande America sous les feux de la rampe, 15 mars 2019
Grande America : Grimaldi a pris trop d’acide, 15 mars 2019
Grande America : safety first, 18 mars 2019
Des « Grande » de Grimaldi en instance de départ et d’arrivée au Havre,18 mars 2019
Grande America – demande de levée de doute sur les sources radioactives scellées, 19 mars 2019
Grande America : inventaire des matières dangereuses et autres, 21 mars 2019
Grimaldi Lines à Sète et à Marseille !, 25 mars 2019
La fuite du Grande Nigeria, 26 mars 2019
Nouvel incendie sur un « Grande » de Grimaldi Lines, 15 mai 2019

 

 

 

 

Imprimer cet article Imprimer cet article