Lettre ouverte sur un secret

13 mai 2008

« Ne peuvent être consultées les archives publiques dont la communication est susceptible d’entraîner la diffusion d’informations permettant de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, chimiques ou toutes autres armes ayant des effets directs ou indirects de destruction d’un niveau analogue ».

Cet alinéa insidieusement glissé au milieu du projet de loi sur la réforme de l’accessibilité aux archives en cours d’examen par le Sénat et l’Assemblée Nationale porte atteinte à la sûreté et à la sécurité des générations futures, au corpus réglementaire sur les sites pollués et à la « Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction ».

Dans le cadre de la protection de la sécurité physique et sanitaire du public et de l’environnement, il est prévu de diffuser les informations sur la qualité de l’air ou de l’eau quand ils sont contaminés par des résidus chimiques émis par des sources diffuses ou fixes comme des munitions anciennes et de donner aux populations des consignes de précaution.
Dans le cadre de la réglementation sur les sites pollués par les effets et les produits des activités anciennes, les études historiques préliminaires et approfondies sont imposées. L’une des sources d’alimentation de ces études sont les archives publiques de tous niveaux.
Dans le cadre de la Convention sur les armes chimiques et leurs destruction signée par la France, il y a obligation de localisation, d’entreposage et de destruction des armes chimiques.

En conséquence, l’association Robin des Bois considère qu’une disposition législative entraînant l’incommunicabilité sans restriction temporelle de documents publics permettant de localiser des armes chimiques qui par obligation internationale et conformément au principe de précaution doivent être repérées et détruites serait en contradiction avec la réglementation existante et avec l’esprit d’ouverture qui doit prévaloir dans les démocraties. A l’heure actuelle, le code du patrimoine stipule que les documents d’archives publiques qui contiennent des informations intéressant la sûreté de l’Etat ou la défense nationale sont communicables au bout de 60 ans, ce qui au regard des risques que font peser sur les populations et sur l’environnement les munitions chimiques ou leurs sous-produits de dégradation est déjà très long. L’incommunicabilité définitive est quant à elle inacceptable.

Beaucoup d’ombres et de non-dits planent sur les armes chimiques non utilisées en France et dans les pays voisins, sur leur état et leurs modes de gestion ; plus le temps passe, plus elles sont susceptibles sous l’attaque de la corrosion et des autres agressions naturelles de libérer dans l’environnement des gaz ou des liquides toxiques et d’avoir ces « effets indirects » mentionnés par l’alinéa 18 de l’article 11, chapitre III du projet de loi.

Si cette disposition était maintenue, elle priverait tous les chercheurs, hydrogéologues, experts en sites pollués et tous les élus d’un moyen important de révélation de la vérité ou de mise en sécurité après des accidents non élucidés ou avant des aménagements de leurs territoires.

Cette tentative intervient au moment où la gestion des munitions chimiques regroupées ou découvertes sur les champs de guerre connaît des ratés et des retards importants au regard de la Convention précitée. Sur le site provisoire et non adapté de Suippes (Marne) sont stockés à l’heure actuelle plus de 200 t de munitions anciennes au phosgène, à l’ypérite, à l’arsine et à la chloropicrine.

D’autre part, nous attirons votre attention sur l’incompatibilité de cette nouvelle catégorie d’archives incommunicables avec les recherches entreprises sur la transmission de la mémoire à l’échelle des siècles ou même des millénaires pour aider les générations et les civilisations futures à localiser les éventuels stockages géologiques de déchets nucléaires.

C’est à vous Mesdames et Messieurs, élus du Sénat et de l’Assemblée Nationale, de refuser cette loi du silence et de la déférer si elle était votée dans cet état devant le Conseil Constitutionnel pour en éprouver la légitimité.

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