Le nitrate d’ammonium for Peace est partout dans les granges, les coopératives, sur les routes, sur les rails, sur mer et dans les ports. Se détacher de l’engrais azoté bon marché à base de nitrate d’ammonium apparaît pour la filière agricole française plus difficile que de se séparer des glyphosates.
Entre janvier et juin 2021, Robin des Bois a relevé 15 incendies dans des établissements agricoles impliquant des engrais à base de nitrate d’ammonium. Les engrais étaient stockés dans les mêmes hangars que des pneus, du foin, des hydrocarbures, de la paille, des produits phytosanitaires.
Dans l’état actuel de la réglementation passoire française, un agriculteur peut détenir 250 tonnes d’engrais à base de nitrate d’ammonium haut dosage sans en informer les maires, les pompiers et les services de l’Etat.
Un tracteur agricole peut circuler sur la voirie publique avec 12 tonnes de cette substance incendiaire, toxique et explosive sans accrocher à la remorque les plaques et étiquettes de danger réglementaires alors que les camions sont obligés de les porter sans condition de poids pour le vrac et s’ils transportent plus de 1000 kg ensachés.
La mission nitrate d’ammonium dont le rapport a été rendu public en juin (1) recommande que les ministères de l’Agriculture, de l’Ecologie et de l’Intérieur profitent du nouveau règlement européen sur les précurseurs d’explosifs applicable courant 2021 pour rédiger avec toutes les parties prenantes et pour largement diffuser des informations pratiques à destination des agriculteurs sur les risques d’accident et sur les mesures minimales à respecter pour stocker de façon sûre les nitrates d’ammonium. Pour rappel, les ministères de l’Agriculture et de l’Intérieur n’avaient pas signé la lettre de mission.
La mission a été très vigilante sur le trafic fluvial d’engrais à base de nitrate d’ammonium dont elle a à juste titre souligné le flou, l’improvisation et le manque de transparence. D’ailleurs, les ports fluviaux ont répondu avec très peu d’empressement à ses diverses sollicitations. Les dissimulations, les sournoiseries sont à peine imaginables dans un pays aussi structuré, contrôlé et verbalisateur que la France. Le plus bel exemple de contournement se situe à Port Angot à Saint-Aubin-lès-Elbeuf en amont du grand port maritime de Rouen. Les engrais à base de nitrate d’ammonium haut dosage en vrac sont interdits dans les ports maritimes français. Cette règle fait suite à l’explosion de l’Ocean Liberty à Brest en 1947 qui a meurtri le port et la ville. Comme cette mesure légitime ne s’applique pas dans les ports fluviaux, l’astuce des importateurs, des producteurs d’engrais composés, des chambres d’agriculture et des utilisateurs consiste à affréter des cargos fluvio-maritimes d’une capacité de 2000 tonnes, de les faire passer sous les ponts de la ville de Rouen et accoster près d’Elbeuf. C’est ainsi que des cargaisons de nitrate d’ammonium haut dosage et en vrac remontent la Seine et passent entre Le Havre et Rouen sous le nez de plusieurs usines Seveso dont Lubrizol à Rouen. Les engrais à base de nitrate d’ammonium haut dosage en vrac sont considérés par les pompiers, les experts et les missionnaires comme la catégorie la plus dangereuse pour trois raisons. Le potentiel de détonabilité est élevé. L’absence de conditionnements individuels facilite le contact d’un gros volume d’engrais avec des contaminants incompatibles et propage l’avancée du front de décomposition thermique dans la masse d’engrais. Les détournements sont plus faciles sur du vrac que dans des sacs ou big bags.
Par contre, Robin des Bois estime que l’appréciation de la mission sur « la situation satisfaisante des trafics dans les ports maritimes » est infondée. Les contre-exemples les plus criants sont les ports des Sables-d’Olonne (département de la Vendée) et de Saint-Malo (département de l’Ille-et-Vilaine).
Aux Sables-d’Olonne, le bassin à flot qui reçoit les cargos de nitrate d’ammonium est en centre-ville. Le port de commerce est ouvert aux visiteurs contrairement à la réglementation internationale. Les seules restrictions d’accès concernent les voitures en périodes d’affluence touristique pour éviter le stationnement sauvage et l’encombrement des quais normalement réservés aux poids lourds, aux professionnels et aux engins de manutention. La seule restriction du trafic maritime et routier de nitrate d’ammonium intervient pendant le Vendée Globe. A une centaine de mètres de l’appontement nitrate d’ammonium, une coopérative agricole a des capacités de stockage de 1249 tonnes de haut dosage en big bags, ce qui lui permet d’échapper à une tonne près au statut de Seveso seuil bas. Le bassin à flot étant barré par une porte-écluse, l’exfiltration d’un bateau dont la cargaison commencerait à dégager des fumées toxiques est impossible à certaines heures de marée. Robin des Bois estime que le trafic de nitrate d’ammonium tel qu’il est localisé et organisé aux Sables-d’Olonne devrait être interdit.
La mission estime également que « la sécurité des trafics d’ammonitrates est pleinement satisfaisante sur le port de Saint-Malo ». Pourtant, le bassin à flot qui reçoit les cargos en provenance de Lituanie et de Pologne principalement est à l’intérieur de la ville et à proximité de l’usine Timac qui stocke des milliers de tonnes d’acide phosphorique et sulfurique et qui serait endommagée par un accident majeur sur l’appontement nitrate d’ammonium. Trois mois après la catastrophe de Beyrouth, le règlement portuaire a été clarifié et amélioré devenant ainsi, comme le dit la mission, le plus opérationnel et le plus précis de tous ceux qu’elle a pu consulter. Il reste que le trafic annuel d’environ 60.000 tonnes d’engrais à base de nitrate d’ammonium arrivant par bateau et repartant par camions correspond à l’image d’une ville corsaire mais met en danger sans qu’elles en soient informées les populations sédentaire et touristique. Comme aux Sables-d’Olonne, la sortie en urgence d’un navire en avarie de cargaison serait impossible à certaines heures de marée. Le bassin Vauban est maintenu à flot par une écluse. La mission ne précise pas si les navires chargés de nitrate d’ammonium sont interdits d’accès au port pendant la Route du rhum. Robin des Bois estime que le trafic malouin de nitrate d’ammonium doit être déporté dans un port de commerce plus éloigné du centre-ville.
La mission constate que les accidents impliquant du nitrate d’ammonium à usage agricole ou industriel se produisent régulièrement et que souvent il s’avère difficile de comprendre précisément les mécanismes mis en cause. Le nitrate d’ammonium garde ses secrets. Le trafic au large des côtes françaises et dans les ports maritimes expose tous les usagers de la mer, l’environnement marin, les villes portuaires à des risques trop souvent méconnus. Suivent quelques exemples non exhaustifs dus à des cargaisons de nitrate d’ammonium le long de la façade atlantique avec en prime un exemple en Australie.
Cheshire
Le 6 août 2017, le Cheshire, pavillon Ile de Man, quitte Porsgrunn en Norvège. Il vient de charger chez Yara 43.000 tonnes en vrac d’engrais à base de nitrate d’ammonium. Sa destination est la Thaïlande. La bombe Cheshire s’apprête à parcourir 23.000 km. La première escale pour soutage est prévue à Las Palmas, Iles Canaries. Dans le détroit du Pas-de-Calais, des odeurs acides et des volutes de poussières blanches sont localisées au droit de la cale 4. L’accident est en marche. Dans le golfe de Gascogne, les rejets s’aggravent. Les panneaux de cale sont brûlants. Ce n’est plus une pré-alerte, c’est l’alarme. Le nitrate d’ammonium brûle à huis clos. Les échanges d’informations entre Yara et l’état-major du Cheshire fusent. Les autorités françaises et espagnoles ne sont pas informées. Le 13 août, à 70 km de Las Palmas, le cargo évacué par son équipage est une Seveso seuil très haut abandonnée et à la dérive. Un dôme de fumée orange et blanche le recouvre. Une zone d’exclusion de 3 milles autour de l’épave est mise en place. Les 4 remorqueurs dépêchés sur place reçoivent des autorités espagnoles l’ordre… de ne pas intervenir. A partir du 23 août, les fumées se calment. Le feu couvant est considéré comme circonscrit. 20.000 tonnes sont parties en fumées irritantes, épaisses et rasantes. Les poissons, le plancton, tout ce qui était en mer a souffert de cet épandage overdosé d’engrais azoté. Les conséquences immédiates et différées n’ont pas été étudiées. La décomposition thermique des 20.000 tonnes a produit 8 millions de m3 de gaz toxiques, corrosifs, irritants, composés d’ammoniac, d’acide nitrique et de protoxyde d’azote, le champion des gaz à effet de serre. Vient le temps du remorquage jusqu’à Motril (Andalousie), le petit port espagnol pittoresque et touristique et spécialisé dans l’importation de nitrate d’ammonium. Motril pourrait être jumelé avec Saint-Malo et Les Sables-d’Olonne. Les 23.000 tonnes de nitrate d’ammonium résiduel ont été déchargées à la petite cuillère en 4 mois, jusqu’au mois de décembre par 200 sauveteurs et experts. En surface, les engrais étaient pris en masse et le processus de refroidissement des strates inférieures était considérablement ralenti. Le Cheshire a été échoué à Aliaga début mai 2018, pour démolition.
Purple Beach
Purple Beach, 26 mai 2015, 17h51. © Havariekommando
Refroidissement de la coque. © Havariekommando
http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/013535-p_rapport_publie_cle051f41.pdf
Quelques publications récentes de Robin des Bois sur le même sujet :
Mission nitrate d’ammonium, Communiqué n°1 : le trafic fluvial, 22 juin 2021