Les fleurs du mal

24 janv. 2025

Communiqué n°1

Le marché mondial de la production et du négoce des fleurs coupées est en plein boum. Il était d’un milliard de dollars en 1990 et de 15 milliards en 2015. Depuis 2020, il est de 20 à 25 milliards par an. Au fur et à mesure que les fleurs sauvages sont étouffées par l’artificialisation des sols, les fleurs industrielles gagnent du terrain et s’imposent dans l’Union européenne et aux Etats-Unis d’Amérique. Les principaux producteurs sont le Kenya et l’Ethiopie, l’Equateur et la Colombie.

Royal Flora Holland et la Rabobank, banque coopérative néerlandaise, estiment qu’en 2027 le marché mondial de la consommation chez les fleuristes, dans les jardineries, les grandes surfaces de distribution et via l’Internet atteindra 100 milliards de dollars.

Les roses, les lys, les asters, les œillets, les chrysanthèmes, les orchidées et d’autres espèces produites en Afrique et en Amérique du Sud subissent des pulvérisations de pesticides et de fongicides interdits dans l’Union européenne et sont biberonnés avec des agents de conservation suspects.

Union Fleurs, l’association internationale qui contrôle et standardise l’importation, l’exportation, la distribution des fleurs coupées, des plantes ornementales en pot et des feuillages de garniture, déploie une agilité logistique complexe et unique. Au Kenya, après avoir quitté en camion réfrigéré une usine à roses sous serres près du lac Naivasha à 1800 mètres d’altitude, les cargaisons sont embarquées dans des avions gros porteurs sur la plateforme portuaire Jomo-Kenyatta de Nairobi. Elles sont débarquées à Amsterdam Schiphol aux Pays-Bas, transitent à Aalsmer dans l’entrepôt et la bourse aux fleurs de 100 hectares et arrivent aux quatre coins de l’Union européenne et au Royaume-Uni chez le fleuriste du coin dans un délai maximal de 48 heures. C’est un record de vitesse dont Union Fleurs se flatte et qui a de quoi enrager tous les sinistrés qui attendent pendant des semaines l’arrivée des produits de première nécessité après des catastrophes et des guerres.

En 45 ans, au moins 60 études scientifiques ont alerté sur les dangers de l’exposition aux insecticides, aux fongicides et aux herbicides dont la filière horticole industrielle abuse. Elles mentionnent des dysfonctionnements de la glande thyroïde, une diminution de la spermatogénèse chez les travailleurs, un excès d’avortements spontanés chez les travailleuses, un excès de malformations congénitales pour leurs enfants et des risques de cancers. Les démangeaisons, les irritations des yeux, les allergies, les symptômes respiratoires sont relégués au rang des pathologies horticoles “ordinaires”. Les auteurs majoritaires des publications scientifiques sont en Amérique du Sud, surtout dans l’Equateur. Au sein de l’Union européenne, seuls les universitaires belges (Khaoula Toumi, Laure Joly, Christiane Vleminckx et Bruno Schiffers) ont abordé et disséqué le sujet. De leur minutieuse expertise parue dans l’International Journal of Environmental Research and Public Health en 2017, il ressort que les concentrations en résidus de pesticides sur les fleurs et les plantes vendues par 22 fleuristes volontaires de Namur et de Bruxelles sont 1000 fois plus élevées que sur les fruits ou les autres produits alimentaires. L’équipe belge a relevé en particulier la présence de bifenthrine, de carbofuran, d’endosulfan qui sont des poisons violents, du thiophanate-méthyl suspecté de provoquer des anomalies génétiques, de 10 pesticides suspectés d’être cancérogènes, de bénomyl et de flusilazole susceptibles d’endommager la fertilité et de provoquer des avortements spontanés. Certains de ces pesticides comme la bifenthrine, le carbofuran, l’endosulfan, le bénomyl, le chlorothalonil, le fénoxycarbe, le pymétrozine, la simazine et les néonicotinoïdes sont interdits dans l’Union européenne. Dans l’Union européenne, l’usage des pesticides quand ils sont autorisés est strictement encadré dans l’agriculture. L’horticulture est dans un angle mort.

A l’exception des fleurs tisanières comme par exemple la camomille, l’hibiscus, le jasmin et le tilleul, il n’y a pas dans l’Union européenne de réglementation sur les limites maximales admissibles de résidus de pesticides sur les fleurs coupées. La même carence est constatée pour les plantes ornementales, les arbres et arbustes de pépinières d’ornement, qu’ils soient produits dans l’Union européenne ou dans des pays tiers.

En France, plus de 50.000 employés chez les grossistes, les fleuristes et dans les jardineries sont particulièrement vulnérables et exposés. Les voies de transfert et d’incorporation principales sont le contact direct cutané, l’ingestion via le porter mains-bouche et l’inhalation, mais aussi l’imprégnation des vêtements par la dispersion des poussières toxiques et leur importation dans les domiciles privés.

En octobre 2024, le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides composé de médecins et de toxicologues a reconnu à l’unanimité le lien de causalité entre le décès par leucémie d’une enfant âgée de 11 ans et la profession de sa mère qui a longtemps exercé dans l’ouest de la France le métier de fleuriste, notamment pendant la grossesse.

Après des échanges d’informations avec la Cellule Investigation de Radio France, Robin des Bois a saisi l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) le 21 octobre 2024 sur l’exposition aux pesticides des travailleurs de la filière horticole. Cette saisine a été validée par l’Anses puis consolidée par le ministère de l’Agriculture et le ministère du Travail le 10 décembre 2024. A ce jour, le ministère de la Santé ne s’est pas joint à cette saisine.

Sans attendre l’expertise de l’Anses dont les travaux répartis en trois phases vont durer 22 mois, Robin des Bois encourage les salariés de la branche horticole à exiger plus d’informations sur l’origine exacte des fleurs et sur les traitements qu’elles ont subis. Les employeurs devraient mettre à la disposition des salariés des Equipements de Protection Individuelle (EPI), en particulier des gants et des combinaisons jetables qui seront alors considérés après usage comme des déchets dangereux. Ces EPI s’imposent dans les phases de composition de couronnes mortuaires ou de bouquets. De leur côté, les consommateurs doivent privilégier des fleurs de saison cultivées en France ou dans l’Union européenne dans l’attente d’une réglementation internationale obligeant tous les pays producteurs à réduire l’usage des pesticides chimiques. Année après année, les fleurs du mal deviendront des fleurs du mieux puis des fleurs du bien.

 

Mary Cassatt, 1844-1926. Coquelicots

 

 

 

 

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