Salon International de l’Agriculture – Communiqué n°2
Irréductible, Marie 72 ans ne laisse pas tomber ses vaches laitières normandes
C’est immuable, chaque jour, à 6 h et à 18 h Dyna, (parce que sa mère s’appelait Dynamite) vient prendre place dans l’une des deux stalles de la petite machine à traire pétaradante, qui en hiver, est installée dans la cour à proximité de l’étable dans laquelle, elle et ses 8 copines passent la nuit. Le petit cheptel de vaches, toujours normandes depuis 3 générations, a passé la journée juste à côté, dans un champ, à manger l’herbe du Val de Saire, situé entre terre et mer au nord-est du Cotentin. 16 h 30, Marie commence un va-et-vient de brouettes chargées de betteraves locales coupées en lamelles. 9 vaches, 9 tas sont déposés dans les mangeoires de Dyna, Fauvette, Frégate ou encore des 2 Mésanges. Toutes ont entendu le bruit de la machine à couper les betteraves et s’approchent de la barrière que va ouvrir Marie. « C’est l’appel de la betterave », explique Marie, avec malice. Fauvette prend la tête du troupeau et toutes partent en file indienne, au parfum de la suite du programme. Aussitôt arrivées dans la grange, les 9 têtes plongent dans les mangeoires et s’ensuit alors une séance de déglutition impressionnante. « Ça gloutonne dur ». Pendant ce temps-là, Marie s’affaire autour de sa machine à traire ambulante achetée en 2000 et qui en été, attelée à un petit tracteur, sillonne les routes et chemins qui mènent aux petites parcelles ceintes de murets en granite et de haies d’épines. Marie est seule, à la tête d’une petite exploitation d’une dizaine d’hectares.
Le lampadaire donne le signal
A 18 heures, le lampadaire situé sur la place du village s’allume, c’est le signal du début de la traite du soir et c’est aussi le signal pour les Normandes que les deux gamelles en tête des stalles de la machine à traire sont chargées de blé concassé. C’est alors un nouveau défilé qui débute. 2 par 2, les vaches laitières de Marie engainent le chemin qui mène à la traite. Les bidons de lait sont prêts à recevoir un lait particulièrement crémeux. Et pour cause, les vaches de Marie se nourrissent d’herbe, de foin, de blé et en hiver de betteraves. Une production locale respectueuse de l’environnement et du cycle naturel, pour un lait bio garanti pur jus. Pas une once d’engrais sur les terres de Marie, juste une herbe légèrement iodée par les embruns qui balayent ces terres du Val de Saire. Une alimentation immuable depuis que le grand-père, au début des années 1900, a créé avec son épouse cette petite exploitation familiale de vaches laitières. « Mon père a repris la ferme en 1949. Quand mon tour est venu, en 1981, c’était la guerre dans le village à cause des terres. Il n’y pas que du bon gibier dans le coin ! A l’époque, qu’une femme poursuive l’exploitation, ça ne passait pas. Mais ce n’est pas une vie que d’être agricultrice et je comprends les jeunes qui ne veulent pas faire le métier », précise Marie, enfant unique, en retraite depuis 2014 et qui prolonge son activité par amour du métier après avoir réduit un peu la toile en diminuant de moitié son cheptel.
Le lait collecté par les Maîtres Laitiers
L’herbe est moins riche à cette période de l’année, alors forcément les vaches produisent moins et à chacune des traites, ce sont à peine 2 bidons qui sont versés dans le tank de collecte. 3 fois par semaine, dans le cadre de sa tournée, un chauffeur des Maîtres Laitiers du Cotentin, au volant d’un énorme semi-remorque, empreinte la petite route qui mène à la ferme de Marie. Et lorsque Marie arrêtera son activité, le passage du laitier ne se fera plus dans le village et c’est un service de proximité de plus qui s’éteindra. La petite exploitation de Marie est d’une autre époque, mais il n’empêche qu’elle donne du rythme au village et du sens à la terre exploitée. Sens qui a été mis à l’honneur il y a une dizaine d’années dans le cadre d’une cérémonie officielle au cours de laquelle Marie a été élevée au rang de Chevalier de l’ordre du Mérite Agricole. Distinction qui a une valeur d’exemplarité et qui marque la reconnaissance de la Nation pour une vie consacrée à une agriculture traditionnelle. Reste que le jour où les agriculteurs et les éleveurs à la retraite arrêteront d’exploiter leurs terres, ce petit village perdra toute une partie de son histoire. Des terres fertiles du Val de Saire ne seront alors que l’ombre d’elles-mêmes et seront observées avec de la hauteur par les camping-caristes qui n’auront plus à s’impatienter derrière les culs généreux des Dyna, Fauvette, Frégate, Mésange et autre Pâquerette, lorsque Marie, aidée de fidèles voisins, les changent de champs.
Texte et photos Nathalie Bonnemains © Robin des Bois
Salon International de l’Agriculture – Communiqué n°1, 21 février 2024. Le mal en mer