Bulletin « A la Casse » n°19

21 avril 2010

Entre le 1er janvier et le 4 avril 2010, 233 navires sont partis pour la démolition. Le rythme reste élevé avec 18 navires par semaine. Tant en nombre qu’en tonnage, l’Inde avec 120 navires (42%) reste la destination numéro 1 devant le Bangladesh, 55 (24%), le Pakistan, 25 (11%) et la Chine, 23 (9%). La démolition cumulée permettra le recyclage de près de 2 millions de tonnes de métaux.

 

La crise est finie !
Les tarifs offerts par les chantiers de démolition sont en hausse sensible et continue, dans les chantiers du sous-continent indien mais aussi en Chine ; ils atteignent les 400 $, voire 500 $ pour les pétroliers et davantage pour les navires contenant de l’inox. Le record du trimestre est obtenu par le chimiquier norvégien Spirit acheté 780 $ la tonne par un chantier indien, un prix rarement atteint même en 2008.

 

Le crépuscule des tankers
C’est le grand retour des tankers, amorcé au trimestre précédent. Alors qu’en 2009 ils représentaient moins de 20% des navires démolis, les pétroliers, chimiquiers et transporteurs de gaz constituent la première catégorie de navires partant à la casse ce trimestre avec 95 navires (41%). En dépit des annonces d’un prétendu boom sur leur démolition, 37 seulement sont des pétroliers à simple coque. Leur âge moyen est de 26,6 ans alors qu’il n’est que de 24,3 ans pour les navires à double coque, double fond ou doubles parois, un signe peut être que la difficulté de leur entretien raccourcit leur carrière. Les transporteurs de marchandises diverses, 53 navires (23 %) et surtout les porte-conteneurs, 27 (12%) et les vraquiers, 23 (10%) marquent le pas. En volume, l’ensemble des tankers représente plus de 1 million de tonnes soit près de 55% du métal recyclé. 10 VLCC (Very Large Crude Carrier) sont partis à la casse. Un certain nombre de pétroliers antiques, utilisés depuis des années comme stockage flottant et sans autonomie de propulsion sont arrivés en fin de vie. C’est par exemple le cas du quinquagénaire brésilien Presidente Floriano dont la démolition avait été annoncée en 2003 mais qui continuait une activité de stockage flottant dans l’Amazone. Le navire, en remorque depuis Manaus, a été accueilli à Alang en tant que « dead vessel » (voir page 9).

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Le Présidente Floriano, 14 août 2008, Manaus, Brésil. Lancé en 1960, c’est un véritable sistership du Speedol Star de « Tintin au pays de l’or noir » (1950). © Vladimir Knyaz

 

Une Europe sans gouvernail
A la différence du Japon qui vient d’aider financièrement le démantèlement expérimental du voiturier New York Highway dans le chantier local de Muroran (voir p 31), l’Union Européenne tarde à mettre dans la réalité  ses bonnes résolutions virtuelles et compassionnelles sur le démantèlement des navires. En dépit des propositions et consultations de la direction Environnement de la Commission Européenne, les avancées réglementaires sont gelées. Les armateurs sont opposés à la création d’un fonds alimenté par les navires entrant dans les ports européens, à l’établissement d’une liste des navires prêts pour la démolition, et plus généralement à toute contrainte potentielle sur les activités de transport maritime.

Les armateurs européens continuent donc d’exporter leurs déchets sans guère d’entraves. Le Margaret Hill avait été détenu en été 2009 par les autorités britanniques qui soupçonnaient sa démolition en Asie, puis autorisé à partir pour continuation de son exploitation. (voir A la casse.com n° 17, p 4). En réalité, le navire a passé un hiver au chaud mais oisif à Dubai. Il vient d’être rebaptisé Chill et est passé sous le pavillon des Comores, l’un des pires pavillons de complaisance de la liste noire du Mémorandum de Paris. Il serait dans l’Océan Indien en route pour la démolition dans un chantier chinois. Si l’on prend en référence l’ex-Descartes français détruit au Bangladesh, il y a à bord du Margaret Hill au moins 1.500 t d’amiante.

Le MSC Nikita est entré en collision avec le Nirint Pride le 30 août 2009 à 20 milles au large des Pays-Bas alors qu’il se rendait à Anvers en provenance de Klaipeda (Lituanie). Le navire a été remorqué à Rotterdam et  allégé de sa cargaison ; ce porte-conteneurs construit en 1980 a depuis été déclaré « perdu » au vu des dommages dans son compartiment machines. En dépit de la proximité des chantiers de démolition à Hartlepool, Belfast ou Gand, et contrairement à ce qui s’était passé pour le MSC Napoli (propriété du britannique Zodiac Maritime) démantelé à Belfast par Harland & Wolff, l’armateur suisse Mediterranean Shipping Company vient de vendre le MSC Nikita, rebaptisé Niki, pour démolition en Chine. Le Niki a quitté Vlissingen en remorque le 2 avril à destination de Shanghai. Tous les signes de reconnaissance MSC ont été effacés, y compris sur la cheminée.

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MSC Nikita
, 1er septembre 2009, remorqué à Rotterdam
© Hans Esveldt

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Niki
, 2 avril 2010, quittant en remorque Vlissingen
© Richard Wisse

Onyx, le pire, Tor Anglia, le meilleur

 

Les pérégrinations de l’Onyx entre l’automne 2009 et le printemps 2010

 

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Le symbole de l’aveuglement volontaire de l’Union Européenne est le ferry Onyx, parti de Vaasa (Finlande), immobilisé à Brest (France), réfugié à Lisbonne (Portugal), touriste en Méditerranée à Malte et Chypre qui, après avoir franchi le canal de Suez, vogue actuellement dans l’Océan Indien. Il est attendu incessamment par les chantiers de démolition où son propriétaire indien a envoyé le reste de sa flotte. (Cf. le Rose S, page 29 et « La chasse à l’Onyx»).

Les pays membres de l’UE font semblant de croire à la poursuite d’exploitation de navires hors d’âge et d’usage et les laissent partir à la démolition en Asie. Rares sont les armateurs européens qui assument leurs responsabilités en ce qui concerne la démolition de leurs vieux navires.

L’armateur danois DFDS vient à contre-courant de vendre son roulier Tor Anglia  pour démolition à un chantier chinois en ajoutant au contrat une clause selon laquelle il se réservait le droit d’agréer le chantier. Une partie des polluants a été extraite du navire avant son départ et les eaux de cale seront pompées puis renvoyées pour traitement en Europe. A l’appel de Robin des Bois, un engagement dans ce sens a été pris par le Grenelle de la Mer en France : « Soutenir que l’Union Européenne requière la preuve que le pays de démantèlement dispose des capacités adéquates de traitement ou de stockage des déchets dangereux ou bien qu’elle impose à titre transitoire le retour en Europe des déchets dangereux dans le cadre de la Convention de Bâle ».

ALC19-TorAngliaRobindesBoisTor Anglia. Cuxhaven, Février 2006 © Vesseltracker

 C’est avec constance que les vieux ferries et navires à passagers construits en Europe alimentent les chantiers asiatiques et particulièrement indiens en matériaux toxiques. Le flux est persistant de ces vieux navires originaires d’Allemagne, du Danemark, de France, d’Italie ou du Royaume-Uni. Ils sont un temps utilisés pour le transport à risques de pèlerins vers la Mecque comme le Mogador ex-Pride of Cherbourg ou envoyés à la casse directement par leur armateur européen comme le navire de croisière grec Ivory rebaptisé Winner 5.

 

Un raté aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, l’Administration Maritime continue le déstockage de ses vieux navires. Les deux derniers Victory ships de la flotte de réserve de Californie ainsi qu’un vieux pétrolier ravitailleur construit en 1943 ont fait l’objet de contrats de démolition. Un accord a été trouvé entre le gouvernement fédéral, les autorités régionales de la baie de San Francisco et les ONG pour éliminer les sources de pollution dues au stationnement de cette vieille flotte dans Suisun Bay. L’Administration s’est engagée à assurer la maintenance et le nettoyage des navires. Les ponts des navires doivent être débarrassés des écailles de peinture sous 4 mois, les coques nettoyées d’ici à deux ans, les 28 navires en plus mauvais état (il en reste 52) envoyés à la démolition avant le 30 septembre 2012 et les autres navires en attente avant le 30 septembre 2017. Tous ces vétérans subiront un nettoyage préalable de leur coque avant de partir pour les chantiers de démolition du Texas via le canal de Panama.

 

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Le nettoyage en dock flottant du Mission Santa Ynez, 10 avril 2010.
© Andrew Dyer
Le sabordage de l’Oriskany, 17 mai 2006, Golfe du Mexique
© US Navy

 

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Kittiwake, février 2010. © Mabel Clark

 

Mais à l’opposé d’un recyclage qui affiche son respect de l’environnement et des lois fédérales ou d’Etat, l’US MARAD renoue avec la vieille et économique méthode de l’immersion des déchets. On se souvient que le lendemain du retour du Clemenceau à Brest en mai 2006, la marine américaine coulait le porte-avion Oriskany sans s’attirer de reproches de la part des écologistes. Cette pratique contraire à la législation internationale a été depuis à peu près délaissée. L’Administration Américaine la réactive : elle vient de faire « don » aux Iles Cayman d’une autre antiquité construite en 1945, le navire d’assistance aux sous-marins Kittiwake. Le Kittiwake sera coulé le 4 juillet prochain et deviendra un récif artificiel pour site de plongée exotique après un toilettage sommaire et le découpage d’ouvertures pour permettre aux plongeurs de visiter agréablement le navire ; il rejoindra la frégate cubaine d’origine russe 356, rebaptisée Captain Keith Tibbets avant son immersion en 1996. Ce « don » permet aux Etats-Unis d’économiser 170.000 $, le coût de la démolition dans un chantier américain, au tarif de 96 $ la tonne demandé pour le démantèlement de l’Escape, un autre navire d’assistance, en août 2009.

 

Après les barreaux, la casse
Les navires sous-normes sont des partants prioritaires, mais ils ne sont pas démolis dans les pays, notamment européens, qui les ont détenus : au moins 108 navires (47%) ont fait l’objet de détention(s) préalable(s) dans les ports mondiaux avec un taux de détention de plus de 80% pour les vraquiers ; 67 (29%) étaient contrôlés par une société de classification n’appartenant pas à l’IACS (International Association of Classification Societies) ou sans classification.

 

Années et mètres
L’âge en fin de vie des navires sortis de flotte durant la période du 1er janvier au 4 avril 2010 se range entre 16 ans pour le tanker Eco Africa victime d’un incendie en octobre 2009 en déchargeant sa cargaison de pétrole brut (voir p. 7) et 65 ans pour les Victory Ships de l’Administration Américaine ; l’âge moyen est de 30 ans ; il est de 26 ans chez les tankers, 27 ans chez les porte-conteneurs et 39 ans chez les ferries et navires à passagers. 79 navires ont une longueur inférieure à 150 m, 99 mesurent entre 150 et 199 m et 55 entre 200 et 336 m.

 

Consulter l’intégralité d’A la casse.com n°19

 

 

 

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