La démolition des navires de commerce est presque au point mort, ce qui n’empêche pas la mort dans les chantiers. Au Pakistan, deux ouvriers ont été tués en janvier 2024 en dépeçant le vraquier Catherine Bright (armateur omanais, pavillon panaméen). Au Bangladesh, six ouvriers ont été tués pendant la démolition du tanker indien Suvarna Swariya en septembre 2024.
En ces temps de guerre en mer Noire, en mer Rouge et en Méditerranée orientale, les navires de charge sont tous exploités jusqu’à l’os. Ils risquent de déposer dans l’océan mondial plus encore de morts et de pollutions qu’ils n’en auraient commis pendant leur démolition.
Les afflux de cargos sur les plages du sous-continent indien et dans les chantiers de démolition chinois pendant la crise économique mondiale de 2008 et des années suivantes et pendant la crise des dettes souveraines de la zone euro qui a commencé en 2010 ont saigné la flotte mondiale. Les armateurs ont liquidé beaucoup de leurs navires pour avoir des liquidités et pour réduire les coûts d’exploitation (équipage, carburant, contrôle, maintenance). A terre, les usines peuvent éventuellement être mises un temps sous cocon. Au mouillage ou à quai, un cargo sans projet appartient après trois ans au passé ou aux récupérateurs de pièces détachées, et après cinq ans à la rouille ou aux trafiquants de drogues et de migrants.
De 2009 à 2017, la moyenne annuelle du nombre de cargos en fin de vie était de 1000 et la moyenne du tonnage métal dépassait 9 millions de tonnes.
En 2022, 2023, 2024, la moyenne annuelle du nombre de cargos en fin de vie a été de 380 et la moyenne du tonnage métal de 2,6 millions de tonnes. Il est possible qu’au bout de ce déclin, la moyenne annuelle du tonnage métal passe sous la barre des 2 millions de tonnes en 2025.
En 2012, la longueur virtuelle du convoi des navires démolis était de 239 km, elle a été de 52 km en 2024.
En 2014, la moyenne d’âge des navires démolis était de 29 ans. En 2024, elle a été de 34 ans.
La plus inquiétante des pénuries dans les chantiers de démolition concerne la catégorie tankers (pétroliers, chimiquiers, gaziers) : 154 démolitions en 2014, 50 en 2024. Un tanker qui coule, c’est un écosystème qui meurt.
La prolongation de l’exploitation des navires de commerce concerne toutes les catégories, tous les pays et tous les armateurs. MSC (Mediterranean Shipping Company) a racheté 383 porte-conteneurs de seconde main entre 2020 et 2024, tous des vieux machins frisant parfois la trentaine. Les tankers fluvio-maritimes russes Volgoneft-109, Volgoneft-212 et Volgoneft-239 ont été pris dans une tempête à la mi-décembre 2024 dans le détroit de Kertch et se sont disloqués ou échoués. Ils étaient âgés de 51 à 54 ans. Ils convoyaient du fioul et d’autres carburants entre les raffineries russes et les ports de la Crimée annexée. Ils sont interdits de navigation en mer par gros temps. Les vents soufflaient à 85 km/h. Un marin, 5000 oiseaux de mer et des dizaines de marsouins et de dauphins ont payé de leur vie les naufrages et les marées noires. Cette extravagance a été imposée par l’économie de guerre qui règne en mer Noire et en mer d’Azov. Les Volgoneft-109, Volgoneft-212 et Volgoneft-239 auraient dû être démolis il y a une quinzaine d’années.
Volgoneft 109 © Alexandre Zotov-Fleetphoto.ru
En 2024, l’Inde et le Bangladesh restent leaders de ce marché de la démolition en disette, suivi par la Türkiye, le Pakistan et le Danemark. A noter que la Chine est absente de ce palmarès. En 2014, elle était en 3ème position avec le Pakistan mais elle envoie aujourd’hui la plupart de ses navires à démolir au Bangladesh et accessoirement en Inde et au Pakistan.
La flotte fantôme du port de Caen, Normandie, France
Caen sert de port refuge à des vieux navires d’expéditions polaires dont les armateurs en faillite cherchent coûte que coûte à tirer profit en les refilant à d’autres croisiéristes pour prolongation d’exploitation. L’Ocean Adventurer est à vendre pour une dizaine de millions de dollars (cf. “A la Casse” n°72 p.92). Son propriétaire actuel est Adventurer Partners Unipessoal enregistré au Portugal aux bons soins de Sunstone Ships Inc de Miami (Floride, Etats-Unis). C’est le sistership du Lyubov Orlova, le mythique vaisseau fantôme parti en remorque du Charlene Hunt de Saint John’s (Canada) le 23 janvier 2013 à destination d’un chantier de démolition de Saint-Domingue. Le Lyubov Orlova a rompu sa remorque, il est parti en solitaire à travers l’océan Atlantique. Il n’est jamais arrivé à destination. Lire à ce sujet “A la Casse” n°31 p.5-6.
Alla Tarasova. © Pyotr Veselov
L’ex-Alla Tarasova a été rejoint dans le port de Caen par l’Ocean Atlantic, ex-SC Atlantic, ex-Rus, ex-Konstantin Chernenko, lui aussi vieux routier des expéditions polaires. Comme l’Ocean Adventurer, il mérite au plus vite la démolition. Il est plein d’amiante et ne correspond plus aux exigences de sécurité et de prévention des pollutions en Arctique et en Antarctique. Lui aussi est à vendre pour une dizaine de millions de dollars. Son propriétaire actuel est Atlantic Partners enregistré au Portugal lui aussi aux bons soins de Sunstone Ships Inc.