CITES : Un couac et 9 notes justes

25 nov. 2022

Communiqué CITES CoP19 n°6 – suite et fin
Panama

Le couac

Le monde entier est d’accord pour s’opposer à la déforestation en Amazonie. Par contre, pour le Pernambouc (Paubrasilia echinata), la CITES est sensible à la musique des tronçonneuses et ne s’inquiète pas de la disparition des dernières forêts atlantiques du Brésil. Au nombre des arbres victimes, il y a le Pernambouc dont le bois est utilisé pour les archets et les baguettes des violons et autres instruments à cordes (voir le paragraphe “Pernambouc” dans le communiqué “Panama, la grande braderie des animaux et des végétaux sauvages”, 14 nov. 2022).
Pour faire contrepoids à la proposition du Brésil d’inscription à l’Annexe I du Paubrasilia echinata, 10 fabricants d’instruments comme Taylor Guitars et organisations professionnelles comme la Confédération des Industries Musicales Européennes ont fait le déplacement au Panama. Depuis plusieurs mois, ils faisaient le siège des autorités nationales CITES notamment françaises. Ils ont invité une violoniste et une violoncelliste panaméennes à jouer devant les délégués, mis en valeur les artisans luthiers, oublié les fabricants chinois qui dominent le marché, fait des envolées lyriques sur l’universalité de la musique. Ils ont fini par endormir toutes les délégations avec un soap opéra sur des prétendus efforts de plantation dans le cadre de l’International Pernambuco Conservation Initiative et le risque de disparition d’une tradition séculaire. Il y a certes quelques plantations de Pernambouc autorisées par l’IBAMA. Elles ne sont que des leurres qui permettent d’écouler des bois d’origine illégale. Les archetiers disent eux-mêmes qu’un bois de Pernambouc doit être vieux de 80 à 100 ans pour être de bonne qualité. Il est déplorable que les fabricants d’instruments à cordes et les musiciens continuent à promouvoir un tel pillage. Les ONG de défense de la biodiversité n’ont pas rencontré une telle résistance de la part des fabricants de pianos et des pianistes. Ils se sont rendus à l’évidence et ont trouvé d’autres matières que l’ivoire d’éléphant pour les touches de pianos modernes.
Tout en redisant que l’Annexe I est pleinement justifiée car “cette espèce endémique classée en danger a été surexploitée d’abord pour la teinture puis pour les instruments de musique”, la délégation brésilienne empêtrée dans la transition Bolsonaro/Lula s’est au final contentée d’une décision appelant la CITES à “évaluer les possibilités d’établir un système de traçabilité pour enregistrer la provenance des archets” et les pays-membres à “envisager d’enregistrer les stocks” de Pernambouc. Les délégations des Etats-Unis et de l’Union européenne ont chaleureusement remercié le Brésil pour son “pragmatisme”.
Pragmatique, Robin des Bois l’est d’une autre manière et demande au gouvernement français et à l’Union européenne de rendre obligatoires dans les meilleurs délais la déclaration et l’enregistrement des stocks de Pernambouc.

Les notes justes

Tortues des bois néotropicales (Rhinoclemmys spp.)
La proposition du Brésil, du Costa Rica et du Panama d’inscrire tout le genre à l’Annexe II a été acceptée par consensus.

Tortue musquée à pont étroit (Claudius angustatus)
La proposition du Mexique d’inscrire la tortue musquée à pont étroit à l’Annexe II a été acceptée par consensus.
Elle vit au Belize, au Guatemala et au Mexique, elle est chassée pour la viande consommée localement et capturée pour le marché international des animaux de compagnie en forte croissance. Elle vit mal la captivité et, selon l’aveu même des vendeurs professionnels, elle est d’une agressivité systématique. Cette mauvaise réputation ne fait pas baisser les prix qui atteignent 495 €/spécimen sur des sites internet français.

Tortues boueuses (19 espèces de Kinosternon)
La proposition du Brésil, de la Colombie, du Costa Rica, du Salvador, du Mexique, du Panama et des Etats-Unis d’Amérique d’inscrire Kinosternon cora et K. vogti à l’Annexe I et toutes les autres espèces de Kinosternon spp. à l’Annexe II a été acceptée par consensus. L’Union européenne était contre mais elle était isolée.
Elles sont menacées par le braconnage, par des espèces invasives comme la grenouille-taureau américaine, la tortue de Floride, par les brûlis agricoles, les polluants toxiques dans les écosystèmes aquatiques, la fragmentation de leurs habitats par les routes. Un spécimen peut être vendu en Chine entre 150 US$ et même 10.000 US$ pour K. vogti.

Tortue boueuse du Mexique et tortue musquée géante (Staurotypus triporcatus et S. salvinii)
La proposition du Salvador et du Mexique d’inscrire les tortues musquées géantes et les tortues boueuses du Mexique à l’Annexe II a été acceptée par consensus.
Les adultes peuvent atteindre 50 cm et peser 10 kg. Un individu peut être vendu jusqu’à 1000 US$ aux Etats-Unis.

Tortues musquées (Sternotherus spp.)
La proposition des Etats-Unis d’Amérique d’inscrire les tortues musquées à l’Annexe II a été acceptée par consensus.
Elles sont endémiques des Etats Unis, sauf une espèce qui vit également au Canada et au Mexique. 1,5 million de spécimens vivants ont été exportés entre 2013 et 2019 pour le commerce des animaux de compagnie en Asie du Sud Est et en Europe. Sur l’Internet une juvénile se vend entre 20 et 35 US$, livraison en 24 heures.
La proposition des Etats-Unis s’appuyait entre autres sur des extraits de “A la Trace”, le bulletin trimestriel d’information et d’analyses sur le braconnage et la contrebande d’animaux menacés d’extinction publié par Robin des Bois.

Tortues à carapace molle (Apalone spp.)
La proposition des Etats-Unis d’inscrire à l’Annexe II (sauf la sous-espèce Apalone spinifera atra déjà inscrite à l’Annexe I) les tortues à carapace molle a été acceptée par consensus. De même, parmi les références consolidant cette proposition, des extraits de “A la Trace” étaient cités.

Tortue molle de Leith (Nilssonia leithii)
La proposition de l’Inde de transférer de l’Annexe II à l’Annexe I les tortues molles de Leith a été acceptée par consensus. Elles font partie de la famille des trionyx.

Gecko de l’Inde (Cyrtodactylus jeyporensis)

© GnanaeswarCh

La proposition de l’Inde d’inscrire le gecko de l’Inde a l’Annexe II a été acceptée par consensus. L’Union européenne était favorable Son aire de répartition est inférieure à 100 km2 dans le sud de l’Odisha et le nord de l’Andhra Pradesh. Il est en tête de gondole pour le commerce des animaux de compagnie. Il est régulièrement disponible sur les plateformes en ligne européennes. Il mériterait l’Annexe I.

Pléco-zèbre (Hypancistrus zebra)
La proposition du Brésil d’inscription des pléco-zèbres en Annexe I avait été refusée la semaine dernière (cf. “Les hauts et les bas de la CITES”, 21 novembre 2022). Le Brésil a obtenu une réouverture des débats et soumis un amendement de compromis qui a été accepté par consensus. Le pléco-zèbre fait donc son entrée à la CITES en Annexe II avec un quota zéro pour les spécimens sauvages.

Tous les autres communiqués de Robin des Bois sur cette CITES au Panama:

CITES : 11 hauts et un bas“, 23 nov. 2022 (CITES CoP19 n°5)
Les hauts et les bas de la CITES“, 21 nov. 2022 (CITES CoP19 n°4)
Bonne nouvelle pour les macaques“, 18 nov. 2022 (CITES CoP19 n°3)
Bonne journée pour les arbres“, 18 nov. 2022 (CITES CoP19 n°2)
Panama, la grande braderie des animaux et des végétaux sauvages“, 4 nov. 2022 (CITES CoP19 n°1)

Charlotte Nithart et Emilie Courtin, déléguées de Robin des Bois à Panama

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